En France, « des besoins d’investissements supplémentaires liés à la transition de 2,5 points de PIB » – Le Monde de l’Energie, 24/03/2023

 

Dans cet entretien pour Le Monde de l’Energie, Alexae Fournier-de Faÿ et Philippe Raybaud, avocats associés au cabinet Jeantet, spécialisés dans la transition énergétique, reviennent sur l’avis du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) sur la stratégie climatique de la France.

Le Monde de l’Énergie —Le Conseil Economique, social et environnemental a récemment présenté un avis sur les techniques de financement de la stratégie climatique de la France. Quels sont les besoins (définis notamment par France Stratégie) et les secteurs prioritaires de cette stratégie ?

Alexae Fournier-de Faÿ et Philippe Raybaud —Le CESE part du constat que le verdissement de l’économie française est tardif et insuffisant à assurer une baisse de 55% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 et la neutralité carbone en 2050. Il conclut qu’au total les besoins d’investissements nets supplémentaires liés à la transition, hors effet de bouclage, pour l’économie totale, et en intégrant les achats de biens durables des ménages, seraient de l’ordre de 2.5 points de PIB, soit 70 milliards d’euros en 2030 (à euro constant).

Cinq secteurs doivent plus particulièrement œuvrer pour la décarbonation de leurs activités : le transport routier, l’agriculture, l’industrie, le bâtiment et l’énergie.

Le Monde de l’Énergie —Le CESE estime que la France doit « reprendre une trajectoire crédible de prix du carbone ». Pourquoi, et quelles mesures pourraient y aider ?

Alexae Fournier-de Faÿ et Philippe Raybaud —Dans les axes mis en avant par le CESE, se pose la question du rôle à donner à la fiscalité.

Si le débat sur cette question clivante est vaste et passionné, dans sa préconisation #5, le CESE recommande que soit poursuivie une logique incitative et que « l’Etat […] donne une trajectoire lisible au prix du carbone pour tendre vers une cible de prix (cible initiale de 100€/t CO2 en 2030) compatible avec l’atteinte des objectifs climatiques ».

Toutefois, le CESE, conscient de la difficulté de la tâche, conditionne le succès de cette recommandation à :

  • la définition de mesures d’accompagnement ciblées pour les ménages et les TPE afin de leur permettre de se doter de solutions décarbonées (rénovation, achat ou usage de véhicules bas carbone) ;
  • le fléchage des recettes vers les ménages et les entreprises pour financer des actions de transition écologique ;
  • un élargissement de l’assiette de la taxe-carbone via la suppression ou la réduction des dépenses fiscales associées (exonérations, remboursements, taux réduits…).

Le Monde de l’Énergie —Quelles les sont les autres principales propositions du CESE, et comment pourraient-elles se traduire dans la loi, la réglementation et les politiques publiques ?

Alexae Fournier-de Faÿ et Philippe Raybaud —Le CESE dans son avis formule 15 préconisations organisées autour de 7 grands axes.

L’axe 1 consiste à mieux calibrer les subventions publiques pour renforcer l’efficacité de l’action publique. Pour cela, le CESE préconise (i) la suppression progressive de toutes les dépenses budgétaires et fiscales défavorables au climat, (ii) la réforme d’un bouclier tarifaire mieux ciblé et mieux proportionnée, et (iii) l’adossement à la Loi de Programmation pour l’Energie et le Climat (prévue en juillet 2023) d’une programmation des finances publiques pour la transition écologique.

L’axe 2 consiste à renforcer les capacités d’actions des collectivités territoriales par (i) l’établissement d’un programme pluriannuel de dotation aux collectivités, (ii) l’élargissement des missions et de l’enveloppe de la Banque des Territoires, (ii) le renforcement de la possibilité de recourir à des prêts à long terme auprès de banques privées pour des projets de transition, et (iv) l’allongement des périodes d’amortissement des projets de transition.

L’axe 3, comme développé plus haut, s’interroge sur le rôle à donner à la fiscalité (i) pour redonner une trajectoire crédible au prix du carbone et (ii) pour assurer la redistribution de la plus-value immobilière ou foncière pouvant être imputée à la création de nouvelles infrastructures favorables à la transition écologique.

L’axe 4 s’intéresse à la meilleure façon de mobiliser l’épargne des ménages, en (i) transformant le LDDS pour le dédier exclusivement à la transition au travers d’une nouvelle capacité d’investissement dans les fonds labellisés, des obligations vertes ou de transition, et (ii) garantissant et renforçant la transparence de l’information pour les épargnants.

L’axe 5 traite des politiques budgétaires et monétaires à mettre en œuvre pour faciliter les financements publics à mettre en œuvre pour la transition écologique au niveau européen en (i) proposant la mise en place d’un Pacte Européen d’investissement pour la transition écologique dans lequel chaque état-membre s’engage à investir 2 points supplémentaires de PIB par an en faveur de la transition écologique, (ii) appuyant la création d’un fonds européen pour la transition écologique ayant un endettement commun, et (iii) sortant les investissement matériels et immatériels relatifs à la transition écologique de la contrainte à 3% du Pacte de stabilité et de croissance.

L’axe 6 souhaite le renforcement du rôle des institutions financières par (i) la mise en place de taux d’intérêts incitatifs pour les investissements en faveur de la transition, (ii) l’intégration de plans de transition dans la règlementation prudentielle, et (iii) la mise en place de d’une obligation de financement sur fonds propres pour les nouveaux investissements fossiles.

L’axe 7 conclut l’avis en s’intéressant aux leviers, autres que financiers.

Le Monde de l’Énergie —Au-delà, quels leviers pourraient permettre de mobiliser les fonds nécessaires à cette stratégie énergétique ?

Alexae Fournier-de Faÿ et Philippe Raybaud —Le CESE préconise que certains leviers complémentaires soient activés :

  • la planification de la transition écologique : il faudra coordonner et définir les priorités sur les objectifs et les politiques de moyen à long terme ;
  • la règlementation et les politiques publiques devront fixer un cadre clair pour faciliter la transition énergétique et faciliter la mise en œuvre des leviers économiques et financiers ;
  • le marché de l’énergie devra être réformé structurellement tant sur la formation du prix que sa structure de gouvernance ;
  • les règles de la concurrence pourront également être utilisées.

 

 


La version originale de cet article a été publiée sur Le Monde de l’Energie.

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