Le coronavirus, cas de force majeure ?

 

Le COVID-19 vient d’être déclaré comme pandémie par l’OMS, le 11 mars 2020. La force majeure peut-elle alors être invoquée pour justifier d’une inexécution momentanée ou définitive de ses obligations contractuelles ?

I. LA CARACTÉRISATION DE LA FORCE MAJEURE (ARTICLE 1218 DU CODE CIVILE)

L’article 1228 du Code civil dispose, dans sa rédaction issue de l’Ordonnance du 10 février 2016 :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

  1. Les caractéristiques de la force majeure

Trois caractéristiques cumulatives permettent de constituer l’existence d’une situation de force majeure :

  • Extériorité : l’extériorité est partie intégrante de la caractérisation de la force majeure, mais la jurisprudence récente – antérieure à l’Ordonnance du 10 février 2016 – a eu tendance à abandonner cette condition, notamment en cas de maladie (Cass., Ass. Plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168). Bien qu’intrinsèquement liée à la personne du débiteur, la maladie est considérée par les juridictions comme un élément extérieur.
  • Imprévisibilité : il s’agit d’un événement non prévisible par le contractant. Elle doit s’apprécier au jour de la conclusion du contrat (Cass., 1ère Civ., 4 février 1997, n° 94-22-203 ; CA Saint-Denis de la Réunion, 29 déc. 2009, n° 08/02114). L’actuelle épidémie, aussi forte et soudaine qu’elle soit, pourrait ainsi ne pas être considérée comme imprévisible pour les contrats conclus postérieurement à la révélation de l’existence de ce virus ; un débat pourrait s’instaurer sur la date à laquelle il devenait prévisible que ce virus entraînerait de telles conséquences.
  • Irrésistibilité : le critère de l’irrésistibilité emporte l’inévitabilité de la survenance de l’événement. En effet, les juridictions l’admettront si les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées. L’irrésistibilité renvoie également au caractère insurmontable de l’événement, à l’impossibilité d’exécuter le contrat. Il sera ainsi conseillé de démontrer que toutes les mesures ont été mises en œuvre pour éviter autant que faire se peut l’impact de l’épidémie sur l’exécution contractuelle rendue impossible (livraison de marchandises, de prestations, etc.).

2. Une application particulière : le fait du prince

Le fait du prince est un acte des pouvoirs publics, qui se traduit par l’exécution d’un ordre de l’autorité causant un dommage pour un tiers. En l’espèce, des mesures de confinement totales ou partielles décidées par le gouvernement pourraient être qualifiées de fait du prince, si elles revêtent les attributs de la force majeure et interdisent ainsi à un prestataire d’exécuter ses engagements.

II. LES CONSÉQUENCES DE LA FORCE MAJEURE : ABSENCE DE RESPONSABILITÉ ET LIBÉRATION DE DU DÉBITEUR DE SES OBLIGATIONS SOUS CONDITIONS

Le débiteur défaillant n’engage pas sa responsabilité en cas de force majeure empêchant l’exécution contractuelle dans les conditions et délais convenus, nonobstant les dommages subis par son partenaire du fait de cette inexécution.

  1. Inexécution momentanée ou définitive justifiée (article 1231-1 du Code civil)

Si l’impossibilité de s’exécuter n’est que momentanée, l’événement ne constitue pas un cas de force majeure exonérant définitivement le débiteur ; en effet, selon la jurisprudence (Cass., 3e civ., 22 février 2006, n°05-12.032), « la force majeure n’exonère le débiteur de ses obligations que pendant le temps où elle l’empêche de donner ou de faire ce à quoi il s’est obligé ».

Le débiteur devra alors s’exécuter dès qu’il le pourra (raisonnablement) et il est important pour chacun non seulement de suivre l’évolution des événements, en temps réel, afin d’être en mesure de constater à quel moment la force majeure n’est plus caractérisée mais également de s’assurer que les moyens humains et matériels sont toujours « à disposition », pour reprendre le bon cours de l’exécution des obligations contractuelles.

2. Effet suspensif ou extinctif, total ou partiel du contrat

L’article 1218 du Code civil permet la suspension du contrat pour empêchement temporaire, ou l’extinction de celui-ci quand l’empêchement est définitif.

Néanmoins, les débiteurs doivent rester vigilants car un cas de force majeure ne libère pas nécessairement de l’exécution de l’ensemble des obligations ; cette limite résulte expressément de l’article 1351 du Code civil selon lequel « L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive (…) ». Les auteurs considèrent ainsi que, dans ces circonstances, « Il y a donc non pas disparition mais rééquilibrage du contrat » (FABRE-MAGNAN, Droit des obligations, t. 1, 4e éd., 2016, no 669).

III. UNE ANALYSE AU CAS PAR CAS

Pour rappel, l’article 1218 du Code civil n’est pas d’ordre public et il est parfaitement loisible aux parties d’y déroger conventionnellement en élargissant ou restreignant les cas de force majeure dans leurs contrats. Dans la pratique, nous avons déjà identifié des contrats dans lesquels il est expressément indiqué que la maladie ou les épidémies ne constituent pas des cas de force majeure ; ces clauses sont souvent le résultat de négociations spécifiques ou de clauses types insérées par des entreprises ayant déjà dû faire face à des situations similaires (H1N1, SRAS…). Les déclarations du Ministre de l’Economie et des Finances, Monsieur Bruno Le Maire, selon lesquelles la situation actuelle constituait un cas de force majeure ne vaut que s’agissant des marchés publics et ne sauraient à elles seules justifier une telle qualification dans des rapports de droit privé.

Il est ainsi impératif de vérifier en premier lieu les dispositions du contrat applicable avant de se prévaloir de la force majeure.

De plus, il sera exigé de celui qui invoque la force majeure pour ne pas s’exécuter ou payer de démontrer avoir agi de manière raisonnable ou appropriée pour limiter les conséquences négatives de la situation rencontrée. Il conviendra également d’informer dès que possible son partenaire de son impossibilité.

Il est donc impératif de constituer et conserver un dossier retraçant l’ensemble des démarches entreprises et les échanges entre les parties. Les échanges téléphoniques (voire les messages sms, WhatsApp…) doivent être documentés dans toute la mesure du possible, par des confirmations écrites des échanges intervenus.

Enfin, les fautes commises par un débiteur, même si ces fautes ne sont pas intentionnelles, seront de nature à écarter l’exonération qui aurait pu résulter de la force majeure. C’est ainsi que la négligence avec lequel un débiteur a agi a déjà conduit à écarter le bénéfice de la force majeure (Voir Cass., Com., 9 juill. 2013, n°12-22.240).

La force majeure est ainsi un concept utile pour protéger les professionnels diligents et responsables. Elle ne constitue nullement un blanc-seing pour un acteur négligeant ou de mauvaise foi.

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